Tout le monde au boulot ? Battre des records ? Les rêves dangereux de la direction

Le jugement qui vient de condamner la groupe La Poste est clair, il rappelle que le groupe doit opérer un « recensement des activités postales estimées essentielles et non essentielles à la vie de la Nation ». Une injonction bienvenue au moment où la direction y va de ses élans lyriques sur le service public après l’avoir laminé pendant des années. Le soudain intérêt de la direction pour les usagers cache la réelle volonté du groupe, profiter des « opportunités de marché ouvertes par la crise sanitaire » et incidemment tous nous remettre au boulot, y compris pour distribuer de la publicité ou des caleçons haut de gamme. Les postier·e·s ont désormais un jugement pour se défendre, pour défendre leur santé et refuser de faire n’importe quoi au nom du tout business.

Le service public, alibi du tout business

Le jour même où l’Etat annonçait le prolongement des mesures de confinement au- delà du 15 avril, La Poste annonçait, par communiqué de presse, qu’elle augmentait son activité. Quel sens du timing ! 2500 bureaux sont donc ouverts dans un premier temps, 5000 fin avril (10 000 au total en comptant l’ensemble des points de contacts). Les fréquences de distribution des colis et des courriers augmentent parallèlement. Les dirigeants se drapent dans le service public, comme ils le font d’ailleurs depuis le début de la crise sanitaire, pour justifier ce retour progressif aux affaires courantes en pleine pandémie. Le PDG Philippe Wahl l’a dit dans une longue interview à Europe 1 : « La Poste, une fois de plus, est au rendez-vous de la continuité du service public ». Philippe Wahl, une fois de plus, joue du pipeau ! Il n’y a qu’à voir la longueur des files d’attentes dans le cadre des prestations sociales pour s’en rendre compte. La Poste, à aucun moment, n’a prévu un plan d’activité spécifique répondant aux besoins. Wahl le dit lui même, « on a fait le choix d’accueillir ces clients [les allocataires] dans les bureaux qui ont le plus de flux ». Résultat, des zones rurales et des quartiers populaires synonymes de zones blanches. Les zones rurales resteront d’ailleurs la cinquième roue du carrosse, puisque ce sont uniquement des agences postes communales et des relais postes qui y seront réouverts.
Mais l’expression la plus chimiquement pure de la politique postale est donnée à la fin de cette interview du PDG sur Europe 1.Ce dernier se félicite ouvertement du fait que la demande de livraisons de colis ne baisse pas, « dans la mesure où d’autre livreurs de colis se sont arrêtés ». En d’autres termes, le PDG de La Poste se vante ouvertement de bénéficier d’un avantage concurrentiel ouvert par la crise. Il conclut, avec une gourmandise non dissimulée, sur le record d’envoi de colis via les boîtes aux lettres de particuliers établi le 8 avril, en déclarant : « ce record est à battre ». On voit ce que valent les déclarations hypocrites en direction des usagers, leur demandant de faire un usage « responsable » du colis.

A La Poste, le profit passe avant la santé des postier·e·s

La santé et la sécurité des postier·e·s, pour nos dirigeants, c’est comme les besoins essentiels de la population et le service public : ça passe par pertes et profits. La réduction, de fait, du temps de travail mise en place fin mars n’est pas du tout le fruit d’une prise de conscience de la nécessité de protéger les agents de la pandémie. Non, c’est le fruit d’un rapport de force imposé par les droits de retraits massifs des collègues , et de l’action intersyndicale qui s’en est fait le relais. Depuis lors, La Poste n’a de cesse de remettre en cause cette concession. En la contournant par exemple via le recours à l’intérim, en s’appuyant opportunément sur les pressions à distribuer la presse en début de semaine. Et quand ça ne suffit pas, on met la pression sur les collègues confiné·e·s, comme c’est le cas au Réseau ou dans les services financiers. Pour ouvrir coûte que coûte plus de bureaux, les directions soumettent les agents à un interrogatoire en mode policier (jusqu’à demander communication des jours de repos du ou de la conjoint·e) et veut remettre les agents en absence pour garde d’enfant en télétravail.
Tout est bon pour repartir plein pot, pour déconfiner totalement le travail alors qu’on nous demande toujours de rester chez nous ! C’est d’ailleurs peut-être la signification essentielle de l’attitude de La Poste en ce qui concerne le désormais fameux stock de masques. Garder les masques en stock autorise une distribution massive au moment ou le groupe veut reprendre l’activité normale et où les masques, s’il ne sont pas encore obligatoires, sont fortement conseillés. On aura sans doute pas confirmation de sitôt mais c’est une hypothèse plausible

Contrer les plans de nos patrons

Déjà, La Poste remet en cause, ici et là, le mode opératoire pour la distribution des lettres recommandées. Le forcing est fait pour que les factrices et les facteurs recommencent à distribuer en mains propres, avec signature. Complètement irresponsable, et même dangereux ! A n’en pas douter, le siège lorgne déjà vers une remise en cause du trois jours travaillés sur six ce qui est déjà le lot du Réseau.
Elle attend juste que l’occasion se présente, si nous baissons la garde. Wahl et les directions des branches comptent même aller plus loin. Ce n’est pas pour rien que La Poste a demandé à l’Etat de pouvoir déroger, sans même passer par un accord, aux dispositions légales et réglementaires en ce qui concerne la durée du travail, le repos hebdomadaire et le repos dominical. Et l’avis rendu par le Conseil supérieur au numérique et aux postes lui octroie la « possibilité de bénéficier des flexibilités prévues dans la loi d’urgence en dérogation aux règles de la durée du travail ». Pour faire simple, l’idée c’est de nous faire travailler jusqu’à 60 heures par semaine et même le dimanche !

Pour SUD PTT, une priorité : la défense de notre santé. C’est cela qui peut permettre une continuité du service public et la mise en œuvre des fameuses (et toujours pas définies) missions essentielles. C’est cette orientation qui a permis que les postier·es soient mieux protégé·es aujourd’hui que début mars. Pour la fédération SUD PTT c’est aux personnels de décider si les conditions sont réunies pour reprendre le travail et de juger si leurs tâches actuelles participent vraiment aux “missions essentielles”.



Deux jugements, deux arguments.

Un jugement pour se défendre

Pour assurer notre sécurité en même temps que celle des usager·e·s, et empêcher nos dirigeants de parvenir à leurs fins, il va falloir se défendre, même dans les conditions difficiles que nous vivons. L’ordonnance de référé que vient
de rendre le tribunal judiciaire de Paris, suite à l’assignation de La Poste par la fédération Sud PTT, est un sérieux point d’appui. Elle ordonne à La Poste (en plus de définir les missions essentielles) de procéder , en associant notamment
la médecine du travail, les CHSCT, les organisations syndicales et les personnels, à une « évaluation détaillée de chacun des risques professionnels identifiés du fait spécifiquement de l’actuelle crise sanitaire d’épidémie de Covid-19 ». Certes, fidèle à sa ligne de conduite, La Poste communique, en interne comme vers l’extérieur, en racontant n’importe quoi, y compris qu’en fait, c’est elle qui a gagné. Cela même alors que c’est bien La Poste, et non Sud PTT, qui a été condamnée ! Il convient donc, partout, de peser pour faire appliquer cette décision, contre nos directions... qui auront bientôt d’autres

La Poste et Amazon, deux mastodontes condamnés

Après La Poste, c’est Amazon qui vient à son tour d’être pris par la patrouille. En effet, mardi 14 avril, le TGI de Nanterre ordonnait à Amazon de limiter, dans les 24 h et sous astreinte de 1 million d’euros par jour de retard, l’activité aux marchandises essentielles dans la période dans l’attente d’une évaluation des risques épidémiques, en y associant les représentants du personnel ! Les directions du groupe La Poste et de Amazon ont les mêmes pratiques, elles méconnaissent visiblement la définition d’une “mission essentielle” et ont mis en danger leurs employé·es. Deux jugements en une semaine ce n’est pas fréquent, ils sont tous les deux un appui pour les postier·es.

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