Comptes semestriels 2020 : Un prétexte pour casser le service public postal

Comptes semestriels 2020 : Un prétexte pour casser le service public postal

Le conseil d’administration du 04 août a été l’occasion d’un double autosatisfecit de la part de la direction de l’entreprise, partagé par une partie des administrateurs/trices : sur la gestion de la crise et sur la réalisation de l’opération Mandarine qui aurait sauvé La Poste d’un naufrage. Pourtant, en grattant un peu, ces chiffres sont le résultat de la stratégie des directions postales et des gouvernements qui se sont succédé depuis plus de 20 ans.
Alors que la crise a montré avec plus d’acuité que le lien social exercé chaque jour par les postier·e·s est essentiel à la population, la direction s’obstine à jouer une toute autre carte : la numérisation à outrance, la fermeture des bureaux de poste et la réorganisation des centres de distribution. Derrière, elle espère opposer deux camps : celui des progressistes contre celui des archaïques. Les "progressistes" étant les liquidateurs du service public...

Un groupe moins courrier dépendant


Les différentes acquisitions des années précédentes ont fait évoluer la photographie de l’entreprise. Si en sept ans la part des services financiers reste stable (passant de 25,7 à 26,1 %), le courrier traditionnel s’est lui, fortement affaibli. . Même si entre temps, le mode de calcul a changé, il affiche aujourd’hui une chute de 18 points (passant de 37,2 % à 19 %). Le colis express a connu une hausse inverse de 15 points passant de 19,8 à 34,6 %.
La direction affiche l’atteinte de son objectif du plan stratégique 2015-2020 : une part du courrier inférieure à 20 % dans le chiffre d’affaire du Groupe ! Ce serait la seule option pour sauver l’entreprise de la spirale du déclin. C’est avant tout une stratégie pour obtenir toujours plus de cash afin d’investir dans des achats et devenir le bras armé de la CDC dans la casse du service public. Pour exemple, les velléités d’investissement dans la santé et la dépendance de la part de la direction postale, sont autant de coups portés au service public de la santé. Vouloir investir dans des entreprises comme Happytal* qui sont avant tout là pour se faire du fric sur le dos des patients, des mutuelles et de la sécurité sociale met à mal le fonctionnement des hôpitaux.

*Happytal est une entreprise qui recouvre les paiements des chambres auprès des mutuelles en incitant les patients à prendre des chambres individuelles. L’entreprise exerce aussi des fonctions de conciergerie ( vente de produits comme des brosses à dents, services comme de la coiffure, etc. )

Des chiffres en trompe-l’œil


Comme les années précédentes, le même constat : Le groupe maintient son Chiffre d’Affaires à flot principalement par les acquisitions, la croissance organique de l’entreprise* étant huit fois moins importante que celle amenée par les entreprises acquises. Pour la direction, cela serait la preuve de la pertinence de leur stratégie, notamment la récente acquisition de la CNP. C’est plutôt une conséquence du désengagement progressif de l’état et des pouvoirs publics de La Poste.
De fait, les chiffres présentés sont dopés par l’arrivée de la CNP. On navigue dans une présentation entre les chiffres avec ou sans CNP organisant des écarts incroyables, notamment pour le résultat d’exploitation (ou l’on passe d’un résultat négatif de 241 millions sans la CNP à 2588 millions avec la CNP), tout cela pour nous convaincre du bien-fondé de l’achat de la compagnie d’assurance et de son intégration dans le giron de La Banque Postale.

*Croissance due aux entreprises déjà existantes dans le groupe et ne comptant pas celles achetées dans l’année

La BSCC principale victime du COVID


S’il y a bien un secteur qui a été impacté par le COVID, c’est la distribution du courrier dans sa globalité (IP compris). Le COVID a provoqué une chute globale de 10 % du CA et de 50,6 % du résultat d’exploitation (dit comme cela, cela a de quoi faire peur), impactant principalement le courrier traditionnel (- 26 % de trafic) et les imprimés publicitaires. Le colis (COLISSIMO), quant à lui, est en nette augmentation (+18 % de trafic). Le comble étant atteint lorsque La Poste s’érige en sauveur suprême des petits commerces qui, sans elle, auraient mis la clé sous la porte.
La direction prévoit une baisse de 17 % pour l’année 2020 sur le courrier traditionnel. Les conséquences se sont vite fait sentir pour le personnel : la direction a engagé depuis le début de l’été une vaste réorganisation des horaires de travail au courrier qui entraînera des dégâts sociaux considérables
.

GEOPOST en plein boum.


La holding de colis express a par contre bien profité de la crise sanitaire. Dans la quasi-totalité des pays où GEOPOST est présent, le trafic est en augmentation* (+33 % avec un pic dans les pays de l’Est notamment). Conséquence : une progression du CA de 35 % et du résultat d’exploitation de 82 %. La crise est une « formidable opportunité pour le colis » selon Philippe Whal. Pourtant s’en féliciter pose problème. En effet, les conséquences pour la société sont loin d’être si réjouissantes… Le e-commerce est une vraie plaieau niveau écologique notamment sur la pollution induite, que cela soit par les serveurs informatiques ou les émissions de CO2 pour les transports de colis. Les bons scores que La Poste obtient au niveau de son Bilan RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) questionnent sur les critères retenus par les agences de notations… en totale déconnexion avec l’urgence climatique réelle…

*Sauf pour l’Afrique du SUD et l’Inde ou les où le secteur des transports n’ayant pas été considéré comme stratégique, aucun camion de transport de colis n’a roulé.

La Banque s’en sort, malgré les errements de la CNP…


La Banque Postale a résisté au choc du COVID. Mais il ne faudrait pas crier victoire trop rapidement, car le coût du risque a explosé* (multiplié par 5). Cela entraînera, entre autres, un verrouillage plus important des crédits dont les populations les plus fragiles seront les premières victimes.
Autre préoccupation, l’intégration de la CNP pourra faire apparaître de nouveaux problèmes (notamment sur les placements assurance vie naviguant entre des fonds euros/taux bas qui obligent à piocher dans les « fonds propres » et les placements boursiers qui ont provoqué une mini crise en début d’année lors des affrontements USA/Russie/OPEP sur le pétrole et le gaz de schiste).

Enfin, alors que tout le monde — les fameux économistes et financiers — donnait le livret A comme mort, on assiste depuis le COVID à une explosion des dépôts qui progressent de 460 %, prouvant la confiance que place la population dans ce produit populaire.

*Cela est dû principalement à l’incertitude sur le remboursement des prêts. Au passage les règles prudentielles ayant été assouplies suite au COVID, cela permet aux banques de s’en sortir par le haut

Le Réseau reste le parent pauvre de La Poste


La direction a profité de la crise du COVID pour éloigner encore plus les usager·e·s des bureaux. La direction affirme, chiffre à l’appui que la fréquentation subit une baisse inexorable depuis le COVID. Sauf que la direction compare des périodes avec des amplitudes d’ouvertures qui ne sont pas les mêmes… Une belle manipulation des données, une fois de plus… . SI la période du COVID risque d’ancrer des habitudes dans la population, la direction semble vouloir l’accentuer. La direction profite des fermetures pendant la période de la crise sanitaire pour démontrer une soit-disante baisse de de fréquentation et en déduire un surdimensionnement du réseau des bureaux de poste. Elle est même allée jusqu’à pointer qu’en matière bancaire le réseau d’agence du Crédit Agricole est plus réduit avec un nombre de client·e·s plus importants. Elle a donc profité de la période pour fermer des bureaux de poste de plein exercice (environ une soixantaine en six mois).
Le COVID ne profite pas à la branche numérique
Étrangement, dans une période comme celle-ci, on aurait pu penser que la branche numérique tirerait les marrons du feu de la période. Ce n’est pas vraiment le cas... Car si le Chiffre d’Affaires et le Résultat d’exploitation augmentent, c’est surtout grâce à l’achat d’une nouvelle entreprise SOFTEAM. Sans cette acquisition, la branche seraiten recul pour son CA et son REX, malgré la croissance importante en nombre de client·e·s de laposte.fr, mais aussi de DIGIPOSTE dans la période.

Une attaque frontale contre le service public postal : la direction de La Poste entre les mains des néo-libéraux


Les missions de service public combien ça coûte ?

Elles sont au nombre de 4 et sont compensées en partie par l’État de la façon suivante :
- Aménagement du territoire (nombre de bureaux de poste) : 174 Millions ;
- Distribution de la presse : 104 millions ;
- Accessibilité bancaire (opérations bancaires pour les plus démunis) : 350 Millions ;
- Service postal universel : 262 millions (il est aussi compensé en partie par la hausse du timbre qui a lieu depuis des années).
Le total de ces compensations fait 890 millions.
Ce qui est vrai, c’est que les missions sont loin d’être compensées à la hauteur de leur coût de revient pour l’entreprise publique. Pour exemple, le déficit du service universel postal s’agrandit d’année en année. En 2018, il était de 365 Millions, en 2019 de 526 Millions, et il est prévu 1 milliard en 2020 .

Depuis plusieurs années, les commissaires aux comptes « tiquaient » sur les déficits récurrents de cette activité. Ils estimaient anormal que La Poste fassent des investissements sur une activité déficitaire. Cette année, avec le grand plongeon accéléré par le COVID, ils ont obligé La Poste à déprécier ses actifs courrier : à savoir, tout ce qui était immobilisé et non amorti dans la comptabilité (machine de tri, parc informatique, logiciels, droits d’utilisation des véhicules et des immeubles …) est passé en charge.
Cela représente tout de même 863 millions d’euros de charges non prévues dans les comptes 2019.
Et pour les prochaines années, La Poste devra tout comptabiliser en charge pour le courrier au lieu de pouvoir diviser le prix d’achat sur plusieurs années... Elle risque de réfléchir à deux fois avant de renouveler ses machines… Pour la direction de La Poste, mais aussi ses actionnaires, le service postal universel coûte trop cher à l’entreprise et c’est lui qui la précipiterait à terme vers le dépôt de bilan…
Ses autres missions de service public seront aussi examinées pour que La Poste puisse faire des bénéfices :
Le transport de la presse a aussi du souci à se faire. Il est bien possible que le Président de La Poste n’ait pas apprécié les interventions des patrons de presse au début de la crise... Le déficit de cette mission de service public est croissant et les hausses de tarifs ne le comble pas (il faudrait les multiplier par 2 ou 3 pour avoir un équilibre). Pour LP, ce tarif trop modique est totalement déconnecté des coûts réels. Du coup, il retarderait évolution de la presse vers des solutions de portage ou pour le développement en numérique. Par ailleurs, les patrons de presse ne sont pas tous satisfaits des services de La Poste car ils veulent des livraisons plus tôt le matin.
L’aménagement du territoire : La Poste se félicite du lancement des bus France Service... Elle a également annoncée définir son plan de continuité de l’activité avec les élus car elle leur a reproché le nombre de fermetures d’Agences Postales Communales au début de la crise...
L’accessibilité bancaire : La Poste se vante d’avoir merveilleusement bien rempli sa mission de service public tout en rappelant que là aussi, elle est déficitaire. La Banque Postale détiendrait 50 % des personnes fragiles du pays et 100 % des exclus, le tout représentant 3 millions de personnes. Le coût net de cette mission (évalué par l’état lui-même) : 450 Millions d’euros !
Le prétexte est donc tout trouvé pour le Président, le comité exécutif et les actionnaires de redéfinir le service public postal de fond en comble notamment en ce qui concerne le courrier traditionnel face à l’état qui « ne pourrait pas tout » ou à la CDC, qui après avoir abandonné ses dividendes ne pourrait plus mettre la main à la poche…
Dès la rentrée, un lobbying puissant va se mettre en place auprès des institutions publiques et des élu·e·s pour attaquer le service public postal tel qu’il existe. Déjà, les promenades du Président Whal dans les territoires, sur les plateaux radio et dans la presse sont là pour préparer le terrain. Le Président n’a pas arrêté de vendre dans toute la presse, le « désir de Poste » qui aurait surgi pendant la crise sanitaire.

La bonne question devrait être : comment fait-on pour maintenir un service postal universel de qualité ? Nos patrons préfèrent comme tout bons libéraux de se poser la question de la réduction des coûts.
La refonte qu’ils désirent s va avoir des implications sur tout le service public. Les visées actuelles de La Poste sur la dépendance et la e-santé vont contribuer à mettre à mal le service public de la santé en « privatisant » de fait des pans entiers de son activité . La CDC va devenir le bras armé du gouvernement et va se servir de La Poste. L’apport de la CNP, en contrepartie de sa montée dans le capital de La Poste n’était donc pas un simple mécano financier mais contenait bien un projet politique. Comme par hasard, un rapport de l’institut Montaigne, groupe de réflexion libéral, dont le Président de La Poste Philippe Whal est un membre actif, a proposé cette refonte de la santé...

Sud estime qu’il faut débattre des missions de services publics, mais sans doute pas sur les mêmes bases que la direction et les ses actionnaires. Il y a fort à parier que tout se passera dans le dos de la population, des personnels du groupe et des organisations syndicales. Cette fois-ci, le Président a déjà prévu d’arpenter les couloirs dorés du parlement ou des ministères. Pour les élu·e·s SUD au CA, un débat national impliquant la population, les associations de consommateurs, les collectivités et les personnels est incontournable.
Les élu-es SUD, ainsi qu’une autre organisation syndicale ont votés contre ces résultats des comptes semestriels.

Intéressement à zéro en 2021


Notre vote a également été motivé par l’intéressement. En effet, La Poste a décidé de reprendre la somme provisionnée pour le versement de l’intéressement en 2021, le COVID ayant dégradé les résultats. L’accord sur l’intéressement détermine son montant en fonction des résultats du groupe. Or La Poste a décidé de prendre en compte les résultats hors effet retournement de la CNP expliqué ci-dessus... il s’agit donc d’un déficit de 1.2 Md qui ne sera pas résorbé d’ici la fin de l’année, alors que le montant inscrit dans les comptes actuellement est un excédent de 2 Md d’euros !

Le tour de passe-passe a consisté à écarter, dans l’accord sur l’intéressement de juin 2018, toute nouvelle acquisition. Ce petit article de l’accord n’était pas anodin. Car au moment des négociations de l’accord, la direction avait déjà dans ses cartons le projet « Mandarine ». Philippe Whal et tout son staff savaient donc très bien ce qu’ils faisaient.
Les signataires habituels CFDT FO et CGC devraient en tirer une leçon : une prime fixe et non variable est toujours mieux qu’un intéressement qui reste aléatoire.

Les enjeux pour les mois qui arrivent seront cruciaux pour l’avenir de La Poste. Face à une direction qui va profiter du COVID pour mener ses projets à la hussarde : plan d’économies avec des coupes drastiques dans les effectifs, maillage postal encore revu à la baisse, réorganisation de la distribution, mise en place accrue du télétravail avec moins de compensation dans de nombreux métiers...

Nous devons opposer un projet émancipateur pour La Poste. Il ne pourra se faire qu’avec les postier·e·s et la population. En décembre auront lieu les élections pour le conseil d’administration. Les travailleur-ses du groupe pourront décider de faire siéger des d’élu·e·s SUD pour les représenter en portant le service public postal et les revendications des personnels au plus haut niveau de l’entreprise.


EN COMPLEMENT :

L’effet retournement de la CNP…

Autre conséquence de l’intégration de la CNP dans la comptabilité de LBP en 2020 : un « effet retournement » qui aura un impact virtuel très positif dans les comptes 2020 de LBP et donc du groupe, mais qui, ensuite, devrait impacter les comptes de manière négative pendant une durée estimée à 10 ans !
En quoi consiste ce fameux « effet retournement » ?
Pour comprendre, il faut d’abord savoir ce qu’est une immobilisation… Une entreprise qui investit achète des biens pour la faire fonctionner, il s’agit des immobilisations qui regroupe les machines, véhicules, immeubles… Ce sont des dépenses importantes qui ne sont pas comptabilisées en charge l’année de leur achat puisque l’entreprise utilise ces biens sur plusieurs années. La réglementation prévoit des durées d’amortissement en fonction du type de biens, pour les immeubles la durée varie entre 20 et 50 ans, selon le type d’immobilier.
La direction a « acheté » la CNP sur la valeur boursière. Cette valeur est souvent très inférieure, notamment pour les entreprises d’assurances à la vraie valeur de l’entreprise. Elle doit donc procédé à un correctif de la valeur de l’entreprise(c’est une obligation légale).

Revenons à la CNP et prenons l’exemple des immeubles. Pour fixer son prix de vente, il a fallu valoriser toutes ses immobilisations. Cette vieille compagnie d’assurance date de 1959, elle a donc dans ses comptes des immeubles qu’elle a acheté il y a plus de 50 ans, amortis, donc enregistrés à 0 dans sa comptabilité. Par contre, dans la réalité, si elle les vend, ils ont bien une valeur.
Au moment de l’intégration de la CNP dans les comptes de LBP, cette dernière a pris en compte les immeubles pour la valeur qu’ils auraient s’ils étaient vendus. Donc, si on prend l’exemple d’un immeuble valant 1 Million d’euro, il est comptabilisé à 0 € dans la compta de la CNP et à 1 M € dans la compta de LBP. Tous ces actifs (immeubles ou autres) représentent 3 milliards d’euros de produits dans les comptes de La Poste cette année ! Dans les prochaines années, la situation va peu à peu se régulariser à chaque fois que la CNP vendra des immobilisations qui sont à 0 dans sa compta. Elle enregistrera un produit, mais LBP de son côté, devra enregistrer une charge car le produit aura déjà été enregistré dans les comptes de l’année d’intégration (donc 2020). La Poste estime qu’il va falloir 10 ans pour que les 2 comptas s’ajustent et cela veut donc dire : 3 milliard de produits cette année divisé par 10 ans = 300 millions d’euros de perte tous les ans à ajouter dans les comptes de LBP (et donc LP) pendant 10 ans...

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