Bluelink : licenciement d’un élu SUD au CE

jeudi 8 septembre 2011 par Philippe

Le ministère du Travail écrase-t-il les droits sociaux à Air France ?

Une filiale d’Air France a voulu licencier un élu de son CE, syndiqué chez Sud aérien, un licenciement refusé par l’Inspection du travail. Mais le directeur général du travail, au ministère, a passé outre et a validé la décision de l’entreprise.

Le ministère du Travail veut-il la peau des syndicalistes ? Dans certaines entreprises, la situation est tendue. Tout se passe à Bluelink, filiale à 100% d’Air France, qui gère Flying Blue, un programme de fidélisation, et basée à Ivry-sur-Seine. En décembre 2009, Mohammed S., conseiller clientèle, entre au CE de l’entreprise au nom de Sud Aérien, le syndicat ayant créé en mars de la même année une section au sein de la filiale.

C’est là que les ennuis auraient commencé pour Mohammed. Ennuis qui culminent en décembre 2010, lorsqu’il est licencié par Bluelink. Mais son mandat au CE en fait un salarié protégé et il faut qu’un inspecteur du travail enquête et donne son accord pour valider le renvoi. Dommage pour Bluelink, le 11 février dernier, l’inspection du travail du Val-de-Marne refuse le licenciement. Bluelink fait alors un recours hiérarchique auprès du directeur général du Travail, Jean-Denis Combrexelle. Ex-directeur de cabinet d’Elisabeth Guigou, il est un des grands artisans de la réforme du Code du Travail. Et le 11 juillet, Combrexelle casse la décision de son inspecteur et donne raison à la direction de Bluelink, Mohammed S. est donc supposé licencié. Il tente actuellement un recours devant le tribunal administratif.

Mais que reproche-t-on à Mohammed S. ? La décision de l’inspecteur du travail, que Marianne2 a consulté, rapporte les griefs de la direction de Bluelink. Deux incidents lui sont directement reprochés. Le 27 novembre 2010, il se serait adressé en ces termes à sa supérieure hiérarchique : « Ouais, va t’asseoir, tu seras mieux à ton poste », « Vas y, retourne à ton poste ». Il aurait également refusé de regagner son poste suite à l’injonction de sa chef avant de se raviser et de retourner travailler. On lui reproche aussi plus généralement « des actes réitérés d’insubordination » et « une contestation permanente et une remise en cause de l’autorité de la hiérarchie et du management en leur coupant la parole et en les contredisant ».

Une sanction "non proportionnée"

L’inspecteur du travail a un autre point de vue. Certes, il admet qu’« il ressort des éléments recueillis lors de l’enquête que des faits de non-respect des consignes et d’insubordination s’étaient déjà produits à l’égard de sa responsable hiérarchique ». Pour autant, vu le contenu des propos incriminés et le comportement passé de l’intéressé , les faits « ne sauraient être d’une gravité suffisante à justifier une mesure de licenciement » vue comme « non proportionnée ».

Autre point : lors de l’incident, Mohammed S. revenait d’un congé maladie de deux mois pour cause de dépression. L’inspecteur relève alors que les conditions du retour de l’intéressé notamment du point de vue de la formation ont « pu expliquer » son énervement. Bluelink reprochait également à Mohammed S. une « attitude irrespectueuse et menaçante » vis-à-vis de ses collègues « au point de ne pas leur permettre d’effectuer leur travail », une accusation qui n’a toutefois « pas été démontrée » par l’entreprise selon l’inspecteur.

Pour Frédéric Karar, qui dirige la section Sud aérien chez Bluelink, « la direction a voulu monter un dossier de toutes pièces » contre Mohammed S. en raison de ses activités syndicales. Selon le dirigeant de Sud, en 6 ans de présence dans l’entreprise, Mohammed S. n’a eu aucun reproche sur des actes d’insubordination avant l’affaire en cause, ce qu’a également noté l’inspecteur du travail. « Mais, en décembre 2009, quand il est entré au CE, il a commencé à avoir des problèmes, c’est lié à son mandat », affirme Frédéric Karar qui évoque un cas de « discrimination syndicale ».

L'inspection du travail désavouée

Les supérieurs directs de l’inspecteur trouvent eux aussi le dossier léger. Face au recours de Bluelink, Mohammed S. accompagné de Julie Corbeau, à l’époque responsable de Sud Aérien, ont rencontré cet été Pierre du Chatelle, chef de l’inspection du travail dans le Val-de-Marne. Selon Julie Corbeau, le fonctionnaire a lui aussi donné un avis négatif sur la décision de licenciement.

Malgré tout, lorsque le dossier remonte à Paris, Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, valide la mesure de Bluelink, estimant que les faits incriminés sont « suffisamment graves pour justifier un licenciement ». Dans sa décision, consultée par Marianne2, Combrexelle se base sur le seul incident du 27 novembre 2010 entre Mohammed S. et sa supérieure hiérarchique.

Pour se justifier, Combrexelle évoque deux nouveaux arguments par rapport à l’enquête de l’inspection du travail. D’une part, il parle d’un « sévère rappel à l’ordre » datant de juin 2010. Pour Frédéric Karar, responsable de Sud à Bluelink, il ne s’agissait là que d’un entretien « informel » n’ayant débouché sur aucune sanction. La direction avait alors fait état de « plaintes de salariés » à l’encontre de Mohammed S. Mais l’inspecteur du travail avait déjà établi que les accusations de pressions de l’intéressé sur ses collègues n’avaient pas été démontrées par Bluelink. D’autre part, Combrexelle avance le fait que Mohammed S. a écopé de 5 jours de mise à pied en novembre 2010 pour ne pas avoir respecté les consignes de travail. Ce motif avait été écarté par l’inspecteur du travail car ne faisant pas l’objet direct de la demande initiale de licenciement.

Un cas isolé ?

A la direction générale du travail, on assure que « le dossier a été réinstruit ». Mais la DGT se refuse à tout commentaire sur le fond de l’affaire, un recours devant le tribunal administratif étant en cours. Chez Bluelink, on affirme que seule Hélène Calvé, la DRH, est habilitée à répondre sur ce dossier. Actuellement en congés, elle est restée injoignable.

L’affaire Bluelink est-elle un cas isolé ou révèle-t-elle certaines pratiques au ministère du Travail ? Le nom de Jean-Denis Combrexelle est déjà apparu dans une affaire similaire. En 2004, notre blogueur associé Gérard Filoche, ex-inspecteur du travail, refuse le licenciement de Nassera F, syndicaliste chez Guinot, y voyant un cas de discrimination syndicale. Là aussi, les supérieurs directs de Filoche ont validé sa décision mais Jean-Denis Combrexelle a finalement accepté le licenciement. En mars 2010, la Cour administrative d’appel annulera finalement la décision de Combrexelle, donnant ainsi raison à Gérard Filoche. C’est le recours qui reste au salarié du group Air France. Reste à savoir si ce sera un enterrement de première classe.

PDF - 1.2 Mo
Article du Parisien
Edition du 94 du 8 septembre 2011

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Article du Parisien

13 septembre 2011
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Edition du 94 du 8 septembre 2011


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